mercredi 22 mai 2013

La genèse du Dassault Mirage IV (partie 1/5)


Aujourd'hui, nous allons nous intéresser à l'histoire du  delta biréacteur bisonique de Dassault, un avion devenu mythique: le mirage IV. Etant lié à l'histoire de la dissuasion nucléaire française, les informations sont parfois difficiles à trouver notamment concernant le début de carrière du mirage IV A puisque les appareils ne portaient pas d'insigne d'unité et même en début de carrière, pas de  lettres d'identification, ce afin de rendre plus difficile le travail de renseignement des soviétiques.

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  • La Genèse du Mirage IV A
L'histoire du Mirage IV remonte aux années 50 alors que la première explosion nucléaire française n'a pas eu lieu (rappelons qu'elle a eu lieu le 13 février 1960 à Reggane en Algérie durant l'opération gerboise bleue).


En 1956, les crises de Suez et de Hongrie, ont montrées que malgré le traité de l'atlantique nord signé avec les américains, ceux-ci considéraient d'abord leur intérêt propre quitte à se mettre d'accord avec les soviétiques contre nous. La France doit donc se doter des moyens de son indépendance et il est décidé la mise en place d'une force stratégique d'intervention, avec armes nucléaires (donc de développer une bombe nucléaire avec des avions pour la délivrer).




De nombreuses oppositions sont faites aux bombardier et surtout à l'arme nucléaire.

  • La gauche est contre, notamment le parti communiste qui est à l'époque favorable à l'URSS. 
  • Une partie de la droite qui a peur d'une séparation avec les USA en cas d'indépendance "renforcée" de la France.
  • L'industrie de l'armement classique qui voit d'importantes sommes d'argent lui échapper
  • Les civils du CEA (commissariat à l'energie atomique), c'est donc l'occasion de créer une direction militaire
  • Les militaires eux mêmes qui craignent une réduction du format de l'armée à cause de l'efficacité de la bombe.



Le 20 mars 1957, les caractéristiques du prototype 01 du mirage IV sont approuvées conjointement par les services officiels et la société Dassault.

Dans l'aéronautique française de l'après 2ème guerre mondiale, tout était à reconstruire après 5 ans d'inactivité des bureaux d'étude, de nombreuses personnes se sont investies pour rattraper ce retard sur les industries anglaises et américaines. Dans ce contexte, les années 50 ont vu fleurir un grand nombre de prototypes, témoignant de la grande activité dans les bureaux d'études français pour rattraper le temps perdu. Chez Dassault, on a déjà renoué avec le succès avec l'ouragan puis la série des mystères. Pour développer ces avion, Dassault a procédé par étape essayant d'améliorer ces appareils très progressivement pour minimiser les risques. Il en est de même pour le mirage IV, qui est venu naturellement du mirage III, appareil extrêmement performant dans son domaine.
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En avril 1957, un marché de fabrication d'un prototype est passé, les études ont fixées la configuration générale de l'appareil qui se présente comme une homothétie du Mirage III (Deux moteurs, deux fois plus grand et un capacité d'emport en carburant trois fois plus élevée).

Dassault Mirage IV A
Le mirage III et le mirage IV côte à côte ne peuvent cacher leurs liens de parenté.

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La SNCASO oppose au mirage IV un projet le SO 4060 (appareil à ailes en flèche qui répond moins bien au Cahier des charges du fait d'un  poids à vide élevé et de sa sous motorisation). Il est rapidement mis à l'écart à l'automne 58 pour des raisons d'économies budgétaires (c'était déjà le cas à l'époque...).

Malgré la "révolution politique qui a lieu en juin 1958, dès son arrivée au pouvoir, le général de Gaulle  précise que la France doit faire seule son arme de " dissuasion à l'agression " et que le vecteur sera un avion d'abord (plus simple à réaliser), un engin balistique ensuite. La Dissuasion nucléaire française, est dite du faible au fort c'est à dire que malgré un adversaire plus fort, on a tout de même le pouvoir d'infliger des dégâts considérables, ce qui va donner du pouvoir à un pays de petite taille comme la France.


De Gaulle agit donc dans la continuité de ce qui a été entrepris sous la IVème république. Il  s'est d'ailleurs toujours montré très intéressé par le mirage IV qui est "son avion".

Très tôt, il apparaît évident, à l'Etat et à Dassault, que les méthodes de travail et la structure des marchés utilisées pour les programmes précédents (comme le mirage III par exemple) ne peuvent permettre de garantir la réalisation de ce programme dans le délai fixé. En effet, pour la première fois en France, il s'agit de créer un système d'arme globalement intégré (l'avion, l'arme atomique et tout les instruments  qui permettent de la larguer avec précision). L'exigence de précision oblige tous les composants du système d'armes à interagir sans problème.


Le contrat signé entre Dassault et l'état est à partage de pertes et de bénéfices et il se déroule de manière exemplaire : Avec une mise au point s'avère très rapide car les pleins pouvoirs ont été donnés aux dirigeants du programme.
  • Sur le plan technique: Vitesse, altitude, rayon d'action conformes, qualités de vol exceptionnelles
  • Sur le plan de gestion de projet: Conforme au cahier des charges, délais respectés

La fabrication en série nécessite la coopération de toutes les entreprises de l'aéronautique française, soit environ 300 sociétés. La part du travail exécutée en propre par Dassault est évaluée à 17 % du coût total d'un avion à sa sortie de chaîne.


  • Les prototype & essais en vol


La fabrication du prototype est réalisée en 18 mois à Saint Cloud et les finitions se font à Melun Villaroche fin 1958.
Le Mirage IV 01 n'est encore qu'un prototype expérimental destiné à découvrir les problèmes liés au vol supersonique prolongé qui n'a encore jamais été expérimenté en Europe.


Dassault Mirage IV A
  


Le 17 juin 1959, Roland Glavany le pilote et Jean Robert, ingénieur d'essai décollent, pour la première fois, le Mirage IV 01 à 10 h 20. Le vol dure 40 minutes. A son troisième vol, le 20 juin 1959, le Mirage IV 01 est autorisé à effectuer un passage au-dessus du salon du Bourget devant le général de Gaulle. Le 19 septembre 1960, à 17 h 05, René Bigand décolle de Melun-Villaroche le Mirage IV 01 et bat le record international de vitesse sur 1 000 km en circuit fermé (1 822 km/h). Lors du vol 138 du 23 septembre, il confirme sa première performance et porte le record sur 500 km en circuit fermé à 1 972 km/h de moyenne en volant entre Mach 2,08 et Mach 2,14.


Pendant ce temps, le développement de l'appareil se poursuit dans le but d'arriver à la série. Une nouvelle définition de l’appareil, équipé de moteurs Snecma Atar 9 D, baptisée Mirage IV A, est approuvée dès le mois d'octobre 1959. Il s’agit d’un avion d’un poids de 32 t au décollage, capable de 1 100 km minimum de rayon d’action (dont 50 % en vitesse supersonique), distance qui pourrait être augmentée grâce au ravitaillement en vol, cette définition est très proche de l'appareil de série.


Trois avions de présérie sont réalisés pour mettre au point l'avion et son système d'arme.

  • Le mirage IVA-02 vole pour la première fois le 12 octobre 1961, essais de ravitaillement en vol plus définition procédures ainsi que les essais de bombardement.
Dassault Mirage IV A
Le prototype 02 était surnommé Cha-cha, il est aujourd'hui en piteux état dans les  réserves du musée de l'air et de l'espace du Bourget.
  • Le mirage IVA-03 : Son premier vol est réalisé le 1er juin 1962, il sert pour les essais de système de navigation et de ravitaillement en vol.
Dassault Mirage IV A
Le prototype 03 avec l'arme nucléaire AN 11.
  • Le mirage IVA-04: Il vole pour la 1ère fois le 23/01/1963, c'est le 1er appareil avec les ATAR 9k de série (contre des ATAR 9D voire B pour les prototypes). Il s'est écrasé le 23/10/1968.

Dassault Mirage IV A
Le prototype 04 du mirage IV A, très proche de l'avion de série.



  • Choix techniques:

La Fiche programme du mirage IV est:

- Capable de voler à Mach 1.8-2
-Capable de délivrer une arme nucléaire d'1 tonne
- Rayon d'action en autonomie propre de 1500 km

On veut un avion capable de voler longtemps et vite cela implique donc un appareil qui vole haut. 


Quand les études sur le  mirage IV commencent, Dassault a déjà 5 ans d'études sur le supersonique et les ailes deltas (mirage I, II et III). Le choix est donc fait de garder l'aile Delta car elle est autostable (pas de plan arrière, moins de traînée).

Dassault Mirage IV
La gamme des avions Dassault au début des années 60, de l'ouragan au mirage IV (il manque tout de même le mystère II C), on voit une certaine continuité dans l'évolution des designs.


De même toujours pour réduire la traînée, il est choisi d'utiliser une arme nucléaire semi-encastrée.

Dassault Mirage IV
La bombe nucléaire en position semi- encastrée








A l'époque, la France faisait de bon petits réacteurs (atar de 6t de poussée): Chez Dassault, on voulait faire  un appareil de grande dimension pour emporter le maximum de carburant possible et ainsi augmenter le rayon d'action de l'appareil. Ce sera le Dassault mirage IVB. Malheureusement, les moteurs français ne permettent pas l'obtention d'une poussée aussi importante (25 tonnes nécessaire, l'Atar 9 ne pousse que 7 tonne par réacteur). Il est hors de question de faire du mirage IV un quadriréacteur car la nouvelle configuration serait trop différente du mirage IV 01 dont les essais en vol doivent servir au développement du mirage IV B. On a également demandé à la SNECMA de faire un moteur plus puissant, mais devant le coût prohibitif de ce développement, il fut abandonné.

Des réacteurs étrangers sont donc envisagés:

  • l’ORENDA IROQUOIS 2 de 11.9 t de poussée avec PC
  • le PRATT ET WHITNEY J 75 de 14.5 t de poussée avec PC (qui propulse entre autre le F-105, F-106 et U-2)
  • le BRISTOL OLYMPUS 22R de 10.5 t de poussée avec PC
  • le ROLLS-ROYCE RB 142 R de 10.3 t de poussée avec PC.

"Finalement, c'est le J 75 qui est choisi pour des raisons de politique industrielle, la SNECMA se rapprochant de PRATT ET WHITNEY pour prendre une participation dans son capital. En passant du MIRAGE-III au MIRAGE-ni 01, les surfaces les masses et la motorisation sont multipliées par deux. Le nouveau projet bâti autour de deux J 75 présente, par rapport au MIRAGE-IV 01, le même rapport : ce sera le MIRAGE-IV B.

Dassault Mirage IV
Le Pratt  & Whitney J-75

Sur le plan des délais, la fiche programme n°6014 du 10 janvier 1959 demande que deux escadrons (32 avions) soient en ligne de vol pour le premier semestre 1965, et le total d'avions à construire est chiffré à 80 (53 en version bombardement et 27 en version reconnaissance et guerre électronique ). : Le 5 mai, une commande de trois avions de pré-série est reçue par la GAMD, en considérant le MIRAGE-IV 01 comme le prototype à échelle réduite. PRATT ET WHITNEY reçoit, de son coté, la commande des dix premiers réacteurs, dont la SNECMA acquiert les droits de fabrication sous licence. La version finalement retenue est le JT-4-B-24 de 13.6 tonnes de poussée au banc en PC max.
La surface de voilure est de 130 m2, la longueur du fuselage de 28 m pour une envergure de 16 m et avec ses 31 tonnes de combustible, le poids total de l'avion est de 57 t.
Début juin, la fabrication du premier avion est lancée et on peut voir à Saint-Cloud les premiers cadres de fuselage et le squelette de la maquette d'aménagement qui vient d'être montée sur le bâti. Malheureusement, le MIRAGE-IV B ne dépassera pas ce stade a cause du prix, des délais et de la dépendance vis à vis des Etats-Unis."

source: "http://www.mirage4p.com/slides/Historique/p12.html"

Le choix est donc fait de revenir au mirage IV A, mais devant le rayon d'action insuffisant, il est envisagé de faire  des missions sans retour, mais l'idée est rapidement rejetée par l'armée de l'air, une autre solution est finalement proposée et accepté, celle de ravitailleur en vol avec l'achat de 14 KC-135 américains qui sont livrés en 1964.

Fin 1963, les essais en vol touchent à leur fin, du moins pour le constructeur, c'est au tour du CEAM (Centre d'Expérimentation Aérienne Militaire) de Mont de Marsan de prendre le relais des essais pour déterminer la doctrine d'emploi de l'appareil dans l'armée de l'air. Le 1er appareil de série sort d'usine en décembre 1963, 1964 sera l'année d'entrée en service mais ce sera une autre histoire.

Dassault Mirage IV
La définition du mirage IV A de série.


La production & la mise en service seront dans un très prochain article.








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3 commentaires:

  1. grande passion pour le M IV , surtout le A .Francis

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  2. Bonjour,

    Le IV est vraiment un bel avion et les infos concernant le IV A ne sont pas des plus courantes (dissuasion nucléaire oblige). Merci d'avoir pris le temps de me lire.

    cordialement

    Baptiste Aubertel

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  3. Bonjour,
    Le premier vol a bien eu lieu le 17 juin 1959, mais le pilote, Roland Glavany, était exceptionnellement seul à cette occasion. Jean Glavany, 94 ans, est le père de Jean, ancien ministre de l'agriculture.

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